Morocco: Literature

 

Tarik Sabiry

Tarik Sabiry est un jeune homme d’affaires marocain basé à Nice, ayant un goût marqué pour l’écriture. Ses textes font souvent allusion à des sentiments universels tels que l’amour, la tristesse ou les contradictions de la vie en couple, avec un style vif et réaliste. Voici 3 de ses récits.

 

La faillite des sentiments

Le chauffage, dans sa chambre, ne marche pas. La nuit, face à la télé, une couverture essaye tant bien que mal de résoudre le problème. Il a eu l’obilgation de s’y faire, le portable du propriétaire est toujours
éteint. Sur une table à côté, un stylo et une feuille somnolent, un lampadaire mal allumé leur tient compagnie. A ras le sol, un sac poubelle transparent, dedans ses manuscrits enfermés.
 
C’est difficile d’arrêter, de tout arrêter d’un coup, l’alcool, les antidépresseurs, l’écriture, l’amour, la vie. Une page blanche volontaire, c’est beaucoup plus angoissant. Ne plus connaitre le goût d’une cigarette
après une belle idée, respirer lentement, puis se taire au lieu de se parler. Se chercher des histoires, créer des gens, aimer des personnages, en détester, critiquer, reconstruire, se reconstruire, remplir des pages blanches, changer de stylo, tourner des pages et se refugier dedans.
Depuis qu’il a rencontré Elisa, il a décidé d’arrêter d’écrire pour trouver le temps de l’aimer. Seulement voilà Elisa est partie sans récupérer la rose qu’il voulait lui offrir pour se faire pardonner, sur la
télé, la rose égarée fait du surpoids, le prototype même de l’occasion ratée, ce petit bagage indélébile de l’échec amoureux. Devant sa maison, il la regardait, derrière un arbre, traverser la rue puis aller remplir sa journée. Alors aujourd’hui la rose lui rappelle qu’il n'a pas su aimer, qu’il ne pourra pas le faire, vivre dans l’angoisse de la rengaine, la regarder dans les yeux, ne pas pouvoir lui offrir la rose, encore moins lui parler. Alors, une décision. Prendre son courage a deux mains, pisser sur la rose, prendre son stylo, lui écrire un mot, tous les jours, le lui offrir puis attendre puisque c’est tout ce qu’il sait faire.
 
Mais Elisa a quitté aujourd’hui Paris, sans songer y retourner, elle a pris ses bagages et sans se retourner elle est partie s’évader, il l’a vu respirer en rangeant les valises dans le taxi, il a même senti, de loin, son parfum, mais il est resté les bras croisés, à ne rien faire, seulement regarder les roues s’éloigner, avec la route qui bouge pas et la nuit qui le nargue. Ce soir est triste, dans sa tête, une information de grande importance, Elisa est partie, elle est partie pour un jour, une semaine,
un mois, un an. Un an, Brice, sans amour, ni pitié. Un an sans la regarder, il sait ce que cela veut dire, c’est que pendant un an, il aura l’occasion de reprendre un souffle en ouvrant des pages blanches que son encre noircira.

 

Nostalgie

Elle te dit que tu n’es pas son idéal mais c’est toi qu’elle veut, et que finalement c’est tout ce qui compte, même si tu finis par le payer très cher.
Elle se frotte à toi, elle te nargue puis revient en courant. Elle t’enveloppe dans ses bras, elle te caresse, t’embrasse, te fait l’amour.
Elle te dit même qu’elle t’aime comme si l’amour existait.
Elle te rappelle souvent que tu n’es pas son idéal masculin parce que tu fais moins d’un mètre quatre vingt, mais elle ne sait ni comment, ni pourquoi. Elle te dit que c’est dans les yeux. Quelque chose dans leurs expressions, loin des attouchements qui ont suivi ce premier regard.
 
Elle t’avoue que tu es sa vie, son lit, ce qu’il y a dessus et ce qu’il y a dessous. Tu sais pourtant qu’elle continue à fantasmer sur des acteurs, des ingénieurs, des ingénieux, des imbéciles aux mètres quatre vingt, des médecins même, mais pas de vétérinaires, parce qu’elle déteste leurs concepts animaliers.
Elle sait que l’homme descend du singe, mais n’a-t-on jamais prouvé que la femme descende de la chienne?
Elle est intelligente et tu le sais. Elle est instable et tu ne veux pas le savoir. Quand elle t’a rencontré la première fois, elle était avec quelqu’un, tu t’en foutais, parce que ce n’est pas toi qu’elle trompait.
Tu étais le meilleur. Quelque chose dans les yeux, disait-elle.
Elle te montre la voie, le chemin. Tu crois en elle parce que tu crois qu’elle croit en toi.
Quand tu doutes, parce que tu as peur qu’elle s’en aille, elle te conforte, d’abord par ses bras, puis par ses baisers et finalement par ses mots.
Tu es rassuré une fois de plus qu’elle sera là pour la vie. Et au moment même où elle te rappelle une fois de plus qu’elle t’aime, elle oublie de te dire qu’elle vient de te tromper une fois de plus avec un vulgaire vétérinaire.

 

Amour soldé

Le grand jour était venu. Le grand jour, pas celui du pardon, mais du down sizing et des licenciements massifs, celui où tu te courbes pour mettre les clés sous le paillasson, un geste simple dont il est difficile de se relever. Ce jour là se concrétisaient les efforts de ces jeunes aux costumes rayés qui un jour ont débarqué en force dans nos bureaux, ils prenaient place dans les discussions des employés, puis plus tard dans leurs bureaux. Des fois on les rencontrait dans les couloirs avec leurs larges sourires qui en disaient long sur leurs rémunérations, d’autres fois ils venaient prendre un café devant la machine, rapidement, et retournaient vers leurs ordinateurs portables dernier cri pour continuer à construire leurs projets : notre destruction. Ce jour là, j’étais donc arrivé un peu en retard, j’étais resté un long moment en bas en train de fumer une cigarette, il commençait à faire un peu froid à Paris, alors pour passer le temps, je faisais des cercles avec la fumée et je les regardais disparaître à petit feu. C’était une façon à moi de dire adieu à ce lieu sans verser une larme, sans larmoyer son ego. Je revois encore l’image de ce dernier cercle qui avait du mal à disparaître, puis plus tard, mon pied sur ce mégot pour lequel j’avais senti, a cet instant précis, beaucoup de compassion. Ce jour là, tout le monde était présent, sur une estrade le top management prenait place, le reste, tout le reste restait debout au
fond de la salle, par cette image, le fossé entre leurs discours et notre réalité s’agrandissait. A cet instant précis, une image est venue se joindre à mes pensées, celles de ces consultants qu’une fois nous ont fait rêver sur capital, le dimanche soir avant de reprendre la semaine, entre leurs voyages a Londres, leurs forfaits téléphone de quelques milliers d’euros, les chambre d’hôtel cinq étoiles, je comprenais qu’ils étaient capables de tout pour continuer à vivre comme ça, alors je trouvais leurs actions légitimes, même banales. Je cherchais peut être à justifier cet échec, je cherchais peut être une cause a mes soucis. Plus tard, vers la fin de cette réunion, j’ai entendu le téléphone d’un directeur sonner, avec son sourire, j’avais compris que le cours de l’action était monté, que finalement on avait servi à quelque chose, pour une fois, on allait ramener de l’argent sans avoir à travailler, un argent qu’on ne verra jamais, directement dans la poche de l’actionnaire, ce malfrat du nouveau siècle, le porteur de cash et briseur de rêves.
 
Le soir, tu n’arrives pas à t’endormir, l’exomil n’y peut plus rien depuis très longtemps, le dos de ta femme nargue le tien, ou vice versa, après quelque années ensemble et des aventures avec d’autres, on ne sait plus qui a tourné le dos a l’autre, alors on fait avec et on respire, le lit conjugal est souvent a bout de souffle. D’en haut, le carré magique a perdu de sa finesse, le malheur est palpable, le malheur, une pièce de puzzle qu’on n’a jamais au départ. L’amour a toujours été rêve, on y croit jusqu’au bout mais on ne l’approche que rarement, quand on ne ferme plus les yeux la nuit, on sait qu’il s’éloignera encore plus. Parfois, on se dit bonne nuit, un mensonge de plus ou un vrai vœu. Alors, qu’est ce que
tu fais, tu te lèves et tu te remplis un verre, une solitaire contemplation des glaçons qui fondent, une façon à toi d’anticiper l’angoisse, un lendemain sans rien à faire, le téléphone qui ne sonne plus, il est
parfois difficile de se séparer d’un processus qu’on connaît bien. Le client, ta carte de visite sur son bureau, les fax de relance, les sourires des secrétaires. Surtout, les sourires des secrétaires. Le verre
se vide, tes yeux dedans, l’image du premier rendez vous donné à ta femme dans un café de Paris, face au centre Pompidou, dehors, il faisait froid, le romantisme tenait dans les arbres qui chancelaient, tu lui tenais la main en regardant par la fenêtre, un geste héroïque de l’amoureux transitaire. Il faisait bon dans ton cœur, la météo du jour était favorable au plus beau des tableaux, des sentiments mitigés entre
tristesse et romantisme, et puis le moment de détresse, ou ta future femme retire sa main doucement, de peur de brusquer tes sentiments, elle reprend sa clope du cendrier, puis d’un souffle elle t’explique la vie, le bonheur qui ne tient pas que dans un café partagé « je sais que ça réchauffe le cœur, je le sais, mais le vent qui fait trembler les arbres du romantisme est celui la même qui tue les SDF de Paris, ceux qui décèdent au moment même où le soir notre amour se consolide sous de propres draps» . Plus tard, à cause de cette phrase, tu la demandes en mariage et elle te dit oui devant le maire du cinquième. Tu l’invites en Afrique pour un voyage de noces, elle en ramène de la lassitude et un masque. Sur le couloir menant a notre chambre, il règne sur notre couple, si un jour il tombe c’est qu’on ne peut plus rattraper quoi que ce soit, notre usine a tromperie aura fait faillite, il faudra alors tourner une page et peut être ne rien trouver.

 

 
 
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